Derniers pas en 2013
Crépuscule d’hiver. Un sanglier traverse la prairie. Solitaire. Décidé. Groin en avant, il trottine. S’arrête soudain, hume l’air, repart… Un peu vaseux, le pelage. Arrivé à ma hauteur, il devine l’intrus et prend la direction opposée. Plein nord. Il rejoindra le bois et ses terres de fouissage plus tard.
Après-midi hivernal ensoleillé. Je gagne le bois tranquille, dépouillé. A l’angle sud-est une famille de chevreuils prend le soleil. Panaches blancs qui s’agitent entre les arbres, puis les galops s’estompent. Ici émergent des rochers alignés ou dispersés, parfois rassemblés en « rond de sorcière ». Tout près dansent les chênes, scènes bachiques, danses lascives dans ce Sodome figé où des bras fatigués croulent sous la mousse du temps. Le sanglier est passé par là. Lui aussi a longuement dansé autour de 2 pins creusant un cercle boueux, usant l’écorce de ses partenaires jusqu’au sang. Peut-être que les soirs de pleine lune… Sur le chemin pavé, à l’ouest, les feuilles ont été entassées ! Un « cantonnier » maniaque aurait-il manié le râteau ? Non point : l’herbe retournée de ci de là dénonce le sanglier jardinier. Une buse décolle d’un vol lourd. Tiens, le grillage qui clôt le sombre parc voisin a été soulevé. Libres, les animaux refusent les clôtures. Seulement les animaux ? Plus loin, à hauteur d’homme, le grillage a été cisaillé… et parfois, la nuit tombée, de la table de ma cuisine, à travers les branchages, je distingue des phares sur cette voie isolée qui ne conduit qu’au canal…
Qu’en sera-t-il demain quand l’école des pompiers envisagée aura « civilisé » ce coin de nature autrefois libre, déjà clôturé ?
Matinée fraîche : mésanges et moineaux squattent les mangeoires, s’agrippent aux boules de graisse. A terre, par dizaines, merles et grives se gavent de pommes. L’année a été bonne, il est normal de partager. Direction le bois. La tempête nocturne a mis bas les derniers fruits rouges du houx, restent tout de même quelques « bonnets d’évêque » du fusain. Soudain, tout près, se dresse un lièvre. Longues oreilles au cœur gris blanc, pattes à ressorts qui lui permettent des bonds de kangourou, il détale, puis s’arrête au milieu de l’allée, me jette un dernier coup d’œil noir avant de disparaître sous un roncier épargné par la dent des chevreuils. Au nord du bois, la pente chevelue d’un champ de céréales. Mais, que vois-je ! De profondes ornières, des morceaux de bois mort à demi enfoncés dans la terre… Quel conducteur inconscient est venu s’aventurer là et gâcher la récolte ? Pourquoi ces traces de roues en provenance de Magouët qui viennent s’égarer sur ce chemin sans issue ?... Un héron attend, hiératique, au milieu de la prairie humide, des vanneaux s’agitent en poussant de petits cris plaintifs…
Ni lapins ni renards, des épidémies les auraient emportés dans le monde des souvenirs selon les chasseurs. Dimanche dernier, l’un d’eux m’a raconté avoir débusqué le sanglier dans le petit bois de biscane voisin. Son chien a bondi puis reculé tandis que la bête noire émettait de rauques grognements qui résonnaient dans la vallée. On avait osé le déranger dans son sommeil !!Futé, l’animal s’est enfui vers le marais sans quitter le roncier. Etrange coque vide que ce petit bois ceinturé de ronces menaçantes. Si vous y pénétrez par une coulée de chevreuil ou de sanglier, vous découvrez une sorte de cathédrale romane : plus de ronces sur le sol pavé de feuilles. Un toit de ramures préserve et assombrit cette longue pièce où ne demeurent que les colonnes des arbres. L’une d’elles est salie de boue, brosse pour blaireau ou sanglier. Derrière son mur de ronces, quelles scènes cache le petit bois ?
Crachin breton qui invite à la nostalgie en cette fin d’après-midi. Direction est, où m’attire le gué du ruisseau de la Madeleine et le bosquet tourmenté voisin. Buts de tant de promenades de jeunesse…
Vent humide et froid, pénétrant. Que sont devenues les haies protectrices qui bordaient le chemin ? Ne sont plus tolérées que des ronces sur les talus anciens. Côté nord, un chevreuil fuit vers les rives marécageuses de l’Isac. Au milieu de la prairie trône un énorme tas de fumier fumant. Eh oui, aujourd’hui il ne fait pas bon être herbe de prairie. A peine enracinée, on est menacé de désherbant. Roussie au printemps, la prairie devra faire place au maïs porteur de primes, tandis qu’au bas de la pente les eaux du canal bénéficieront de la chimie moderne. Agriculture dévoyée.
Au sud une épaisse fumée attire mon attention. Des flammes s’élèvent au milieu d’un espace vide. N’était-ce pas là que nous avions recensé de belles « courgasses » protectrices des vents du nord et de l’ouest ? Autrefois, les arbres travaillés fournissaient abri, clôture et chauffage. Aujourd’hui on arrache, entasse, enflamme… Vive le réchauffement climatique ! Dans la trouée nouvelle s’ouvre la gueule béante d’un bâtiment agricole désormais exposé aux vents vengeurs. Inconscience ou provocation au nom d’un modernisme mal compris ? Au-dessus de ma tête des corbeaux s’agitent à la recherche d’un nouveau dortoir. Plus haut, des vagues de corneilles criaillent. Messagers noirs d’un sombre avenir.
Voici le gué : trop d’eau pour que je puisse le franchir. Des traces de tracteur portent mes pas dans la prairie voisine jusqu’au bosquet où j’aimais tant me perdre, guetter les empreintes animales. Il marque l’emplacement d’un affleurement rocheux creusé de cavités inégales pour en extraire la pierre. Un hangar recouvre la partie est, désormais arasée. Dans les trous on a déversé des tôles amiantées, de vieux bidons, des plaques de béton armé en quantité. Désolation. Ce lieu de rêve est devenu dépôt caché pour ces déchets de notre civilisation…
Triste soirée. Imprégné par l’humidité ambiante et tous ces crachats jetés à la face de la Nature, je remonte vers la maison. Jaune et noire, une salamandre s’est égarée sur les chemins trop doux de ce début d’hiver. Elle a péri écrasée, mais c’est un témoignage de la subsistance de l’espèce « symbole d’une nature préservée » selon R. Royer (voir « L’or de Justin »). J’atteins le jardin dans la demi-obscurité, deux faons dérangés au début de leur dîner regagnent l’abri des bois. Motifs d’espoir ?
Soir de brume. La pieuvre brouillard étend ses longs tentacules, profite des coulées animales pour franchir les haies. Et les rivières deviennent mer. Une étendue pâle où le regard se perd. Au-dessus, émerge le bois aux pieds fragiles, dissous. Palette d’orange, de rose et de rouge avec des zébrures d’un bleu violacé, le ciel l’enveloppe. Un tableau vivant qui évolue de minute en minute, grandiose, attirant.
Rêve de paix et de liberté.
La nature est prête pour 2014, prête à vous faire partager ses mystères et ses bienfaits. Mais voudrez-vous la connaître et la respecter ? Y tracer vos chemins d’avenir ?
Premiers pas en 2014
Nuit de pluie, matinée d’averses. Ça y est, nous avons franchi le portique 2014, un peu d’air frais devrait nous dynamiser pour affronter les mystères de l’année nouvelle.
Avec Coco, nous nous dirigeons vers le canal, enfin le lac qui en tient place car, depuis la fin décembre, les prairies environnantes servent de bassin d’expansion. Un va et vient, flux et reflux au gré de la météo, des apports des ruisseaux, des ouvertures d’écluses…
Tiens, voilà des chasseurs dégoulinants de pluie et souriants, fiers du lapin qui ne connaîtra pas 2014. Ils ont imaginé cette sortie en prolongement d’une nuit blanche. Un bon moyen de reprendre ses esprits, mais peut-être pas l’idéal question réflexe et sécurité !
Stop ! Plus de chemin : sur la voie s’avance un torrent boueux. Nous faisons demi-tour, des mouettes s’envolent lorsque Corentin s’avance sur la prairie inondée. Un héron nous survole et se dirige vers la rive nord du canal. L’eau a franchi la digue et s’étend sur les champs, baigne le pied des maisons bâties dans cette zone humide et « exceptionnellement » inondable… comme aiment le déclarer nos autorités…
Nous longeons le bois jusqu’au parc du Pont-Piétin plongé dans le noir silence des pins. Un chevreuil surpris fuit en longeant le grillage, pris au piège. Sur la route pavée – un élément de notre patrimoine, hélas totalement négligé – l’eau des dernières pluies creuse son chemin vers le canal qui écume et gronde en chariant quelques branchages.
Nous remontons ce chemin – dit « route à Hénaut » - qui servait autrefois au transport de pierres entre la carrière de la Rabatelais et le canal. L’emplacement des roues de charrettes est pavé pour éviter les ornières vu les lourdes charges déplacées. Mais, à hauteur de la « grille » - entrée du parc au temps des marquis – la voie est barrée par un énorme chêne couché sur le chemin et le grillage du CHS. Une victoire du vent et de la pluie qui a détrempé le sol, du temps aussi qui doit avoir affaibli le vieillard.
Nous traversons le bois, passons près des arbres autour desquels dansent les sangliers : de véritables pistes creusées et l’écorce des troncs usée jusqu’au sang par les frottements des animaux. Côté est, l’eau a retrouvé le cours d’un ruisseau ancien répertorié sur les cartes de 1780. L’Histoire nous rattrape. Voici le champ de pierres qui émergent du sous-bois dont les ronces ont fait le délice des chevreuils. Orée du bois, prairie boueuse, en avant 2014 !... Mais l’homme est-il prêt à suivre les leçons de la Nature et tracer des chemins d’avenir harmonieux, respectueux des êtres vivants et de l’environnement ?