« Cot, cot… » A l’entrée du terrain, les trois poules du voisin vous saluent d’un hochement de tête. Toujours groupé, le trio orangé parcourt librement le pré, près du parc aux chèvres. « A mon commandement, demi-tour ! » C’est sûrement un militaire qui les a dressées ! Même démarche, mêmes mouvements saccadés, elles s’approchent familières, ou s’éloignent lentement projetant ensemble le bec vers les nourritures terrestres. Et voici les chèvres, chevrettes, et même boucs à l’activité débordante. Salut à vous ! Toujours accueillants, vous vous précipitez à notre approche en quête d’une caresse ou – mieux encore- d’une gâterie. Gourmandes, sûrement ; amicales envers les enfants et parents qui s’attendrissent devant votre enclos. La pluie, vous ne l’aimez guère. Heureusement, il y a le cabanon abondamment pourvu en paille et foin. Et même un berceau où les chevreaux aiment s’étendre. Le soleil vous donne des ailes, vous bondissez dans le pré, pratiquez l’escalade sur le promontoire conçu pour vous, jouez à l’homme à 2 pattes face aux saules à l’écorce tendre. Pourtant chacune a son caractère. Marguerite, souvent sombre, semble ruminer quelque vengeance. Dictatrice, elle rejette la douce Blanchette aux yeux tendres. Parfois, poussée à bout, celle-ci se révolte. Un cri, un retournement, un bond, et les cornes se heurtent… Tout près désormais, s’étend le domaine des canards. L’on s’extasie volontiers devant nos deux énormes canes à l’œil coquin. Familières, elles vous saluent en remuant la queue. Saturnin, le géant, prend lui aussi de l’ampleur et s’affaire dans l’enclos. Comme le coq sur son fumier, il aime se dresser sur un monticule de terre. La terre, vous la fouillez à la recherche de quelque pépite que vous trempez soigneusement dans vos bassins. Pas d’eau claire, surtout ! Dans le poulailler, vous avez moulé vos nids où s'entassent les oeufs... mais je vous sens préoccupées: des intrus se glissent sous les planches pour les dérober! Et nous voilà dans le jardin où nous attend, discret, rampant silencieusement, Minet aux longs poils gris, gardien sérieux et fuyant. Parfois, des comparses plus banals traversent les lieux... Dans les haies s’agitent et gazouillent moineaux, mésanges et pinsons auxquels nous apportons un peu de nourriture l’hiver. Au sol, des merles retournent les feuilles. Dérangés, ils se précipitent à petits pas, « tête au guidon », avant de s’envoler. Bretonnes jusqu’au bout des ailes, des pies s’éloignent en jacassant. Juchées dans les grands arbres, elles continuent leurs commérages en nous observant. Bêchage ? Un couple de rouges-gorges se transforme en aides-jardiniers trottinant sur le carré, piquetant de ci de là les gros vers blancs et gris qui nuisent à nos cultures. Le soir, des pigeons amateurs de légumes viennent se percher dans le bois sauvage. Parfois, un vol d’étourneaux tournoie au-dessus des arbustes à la recherche d’un dortoir. Pour vous, oiseaux, nous bricolons nichoirs et mangeoires. Au fil du temps, nous apprenons à mieux vous connaître.Tiens, vous me faîtes penser aux boules de graisse qui, mystérieusement, disparaissent à peine posées. Parfois le filet est déchiré. Un jour, il ne restait même que la ficelle dénouée attachant la boule. Qui hante nos branchages, si discret, si efficace ? Autre mystère, au sous-sol du cabanon un être joue au Petit Poucet. Il s’en va chercher du pain destiné aux canards et en sème tout au long de son itinéraire. C’est ce qui nous a permis de le repérer. Dans un coin du plancher, il a soulevé et écarté une planchette pour accéder à son domaine. Parfois un gros morceau de pain reste coincé là. Dans la partie sauvage du terrain aussi nous avons remarqué de mystérieux passages, des « coulées » visiblement très fréquentées. Benjamin nous a fait observer des écorces rongées… En notre absence, le jardin va sa vie… Parfois, le hasard apporte une révélation : nous n’avions jamais vu de hérisson et pourtant le premier abri que nous avons réalisé a été aussitôt habité. Cet hiver, un village s’est dressé devant le cabanon, composé de dômes terreux. Dame taupe a creusé ses galeries souterraines.Printemps. Grenouilles, crapauds, tritons convergent vers la mare et le point d'eau voisin. Au coeur de l'hiver, ils avaient disparu, cachés pour se protéger du froid. Et voilà que l'instinct de reproduction se réveille. Amas gélatineux pour les grenouilles, cordon pour les crapauds, les oeufs vont se développer. Bientôt nageront des dizaines, des centaines de têtards. Puis, rousses ou "pissouses", les grenouilles bondiront dans l'herbe, cherchant l'abri des buissons. Les crapauds feront entendre leur chant grave. Des tritons évolueront près des rives, des salamandres se dissimuleront sous les feuilles dans l'attente de la fraîcheur nocturne. De l'autre côté de la haie, vaches et veaux sont revenus: roux, blanc, gris... toute une palette de couleurs. Parfois, ils dirigent leur mufle vers les jardiniers, le plus souvent ils broutent consciencieusement l'herbe de la prairie naturelle, permanente - c'est si rare aujourd'hui- où coule un ruisseau, où se dressent quelques arbres tortueux et vieillissant. En été, les serpents – vipères, couleuvres-, lézards, orvets ont aussi leurs trajets préférés, leurs places d’affût ou de bronzage. Les abeilles, nichées dans un chêne voisin viennent s’approvisionner sur les fleurs, tandis que les gros frelons préfèrent la sève des chênes et les fruits du poirier sauvage. Au-dessus de la mare, vrombissent les libellules, se promènent les demoiselles. Au creux des eaux, carpes, tanches et anguilles attendent impatiemment les pluies d’hiver. Dans le sol des rives, les ragondins ont creusé leur habitat. Et partout volètent papillons et insectes.Et la nuit ? Peut-être des chauves-souris ? Et tous ceux qui se nourrissent dans les carrés de légumes. Arthur n’a pas oublié l’agitation dans les « Swiss Card » un soir où il était venu se pourvoir en tomates… Oui, vraiment, notre jardin est vivant !